Au cœur du Val de Loire, terre de châteaux, de vignobles et d’une histoire fluviale intense, réside un trésor culinaire souvent méconnu du grand public : la Matelote d’anguille.

Ce plat mijoté, riche en saveurs et en histoire, n’est qu’une simple recette. Il est le témoin vivant d’une tradition paysanne et marinière qui a façonné l’identité gastronomique des rives de la Loire, de l’Anjou jusqu’en Touraine.

Découvrez l’histoire, la symbolique et les secrets de préparation de ce classique incontournable du terroir français.

1. La matelote : L’héritage d’un plat de mariniers et de pêcheurs

 

Le terme « matelote » désigne un mets composé de poissons (souvent d’eau douce) cuisinés au vin, à la manière des marins ou des matelots. Cette étymologie simple masque une longue histoire qui plonge ses racines dans la cuisine médiévale.

 

De la soringue d’anguille à la matelote

 

L’ancêtre direct de la Matelote d’anguille est la « soringue d’anguille », dont on trouve la trace dès le XIVe siècle dans le fameux Ménagier de Paris. Ce plat consistant et parfumé était idéal pour les gens du fleuve et les paysans qui vivaient au rythme des crues et des saisons de pêche.

Dans la région de la Loire, fleuve nourricier par excellence, l’anguille est devenue le poisson star de cette préparation pour plusieurs raisons :

  • Abondance locale : L’Anguille d’Europe (Anguilla anguilla) était autrefois très présente dans la Loire et ses affluents (notamment l’espèce dite « Anguille jaune » ou « de montaison »).

  • Chair grasse et goûteuse : La chair de l’anguille, naturellement grasse, est parfaite pour les cuissons lentes et offre une texture incomparable. Elle apporte une richesse qui se marie à merveille avec la robustesse du vin rouge.

  • Plat économique : Traditionnellement, les matelotes permettaient aux pêcheurs d’utiliser les poissons du jour, souvent des espèces communes, dans un ragoût réconfortant.

 

Une spécialité fluviale française

 

Bien que la matelote soit célèbre en Val de Loire (Anjou, Touraine) et dans le Marais poitevin (où l’on parle parfois de bouilliture d’anguille), des variantes existent le long de toutes les voies navigables de France (Seine, Marne, Sâone). Cependant, l’association avec les vins rouges fruités de Loire (Bourgueil, Chinon) confère à la matelote ligérienne son caractère unique.

2. Le cœur de la recette : L’anguille de Loire et le vin du terroir

 

Le succès de la Matelote d’anguille repose sur l’équilibre entre la texture du poisson et la complexité de sa sauce.

 

L’anguille : Un poisson migrateur aux saveurs marquées

 

L’anguille est un poisson fascinant, effectuant un incroyable voyage de la mer des Sargasses (où elle naît) jusqu’aux rivières d’Europe (où elle grandit).

  • L’anguille jaune (de montaison), capturée durant sa phase de croissance dans les eaux douces, est la plus prisée pour ce type de plat.

  • Préparation : L’anguille, débarrassée de sa peau (opération souvent confiée au poissonnier pour plus de facilité), est coupée en tronçons d’environ 5 à 6 cm, prêts à être mijotés.

 

Le rôle essentiel du vin

 

La Matelote d’anguille se distingue de nombreuses autres recettes de poisson par l’utilisation du vin rouge, à l’instar des pôchouses de Bourgogne.

  • Accord local : Le choix se porte traditionnellement sur un vin rouge local, généralement un Bourgueil ou un Chinon. Ces vins de Loire, élaborés à partir de Cabernet Franc, apportent des notes fruitées et légèrement poivrées, idéales pour équilibrer le gras de l’anguille.

  • Marinade et cuisson : Le vin sert à la fois à mariner brièvement les tronçons d’anguille et à créer la sauce de cuisson. Un trait d’eau-de-vie locale (marc de pays, Cognac ou Armagnac) est souvent ajouté pour déglacer et flamber, rehaussant les arômes du plat.

 

3. Les ingrédients clés d’une matelote authentique

 

Une matelote réussie nécessite une cuisson lente et la présence de garnitures rustiques :

Ingrédient Rôle et préparation L’astuce traditionnelle
Anguille Coupée en tronçons. La chair doit être bien essuyée pour une meilleure saisie. Frire ou roussir légèrement les morceaux au beurre avant de mouiller pour « sceller » la chair.
Vin rouge Base de la sauce, généralement un Chinon ou Bourgueil. Ne jamais utiliser une « mauvaise piquette » ; la qualité du vin fait toute la sauce.
Oignons grelots Rissolés au beurre et caramélisés avec un peu de sucre, ils sont ajoutés entiers. Les glacer doucement pour qu’ils ne se défassent pas et restent fondants.
Champignons Champignons de Paris ou, mieux, des champignons forestiers locaux. Les citronner légèrement pour qu’ils gardent leur blancheur pendant la cuisson.
Beurre manié Mélange de beurre et de farine utilisé pour épaissir la sauce en fin de cuisson. S’assurer que le beurre manié est bien délayé hors du feu pour éviter les grumeaux avant de faire bouillir la sauce pour la lier.
Croûtons aillés Tranches de pain de campagne dorées au beurre ou à l’huile et frottées à l’ail. Servis pour saucer généreusement la riche sauce matelote.

4. L’enjeu de la matelote aujourd’hui : Préservation et avenir

 

Si la Matelote d’anguille demeure un plat emblématique de la région ligérienne (souvent mis à l’honneur dans les restaurants d’Angers ou de Tours), sa présence sur les tables est devenue plus rare.

L’anguille d’Europe est en effet classée comme une espèce en danger critique d’extinction par l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).

  • Réglementation : La pêche est désormais très strictement réglementée en France, notamment la pêche de l’anguille argentée (en phase de migration vers la mer des Sargasses).

  • Adaptation des chefs : Les professionnels et les cuisiniers amateurs font face à cette raréfaction. Certains restaurants, engagés, privilégient l’anguille issue d’élevages agréés ou utilisent des poissons de substitution (carpe, brochet, perche) dans des préparations « à la matelote », perpétuant ainsi la technique de la sauce.

La Matelote d’anguille est plus qu’une recette : elle est un appel à la mémoire gastronomique du fleuve, un plat qui nous rappelle le lien fort entre le terroir, ses ressources et la créativité paysanne. La déguster aujourd’hui, c’est savourer un fragment de l’histoire du Val de Loire, tout en reconnaissant la nécessité de préserver ses eaux et ses espèces.

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