Dans le patrimoine culinaire français, certaines recettes sont plus que de simples plats ; elles sont l’âme d’un terroir, le reflet d’une histoire rude et l’expression d’une générosité montagnarde. C’est le cas du Tofaye (souvent orthographié Tofailles ou Touffaye selon les régions), un mets emblématique des Vosges et des régions de l’Est, célèbre pour son caractère réconfortant et sa simplicité.
Plat paysan par excellence, la Tofaye est un trésor culinaire qui tire sa richesse de la lenteur de sa cuisson et de la qualité de ses ingrédients de base, célébrant une cuisine de l’« étouffée », chaleureuse et conviviale.
Aux racines de l’étymologie et du terroir
Le terme Tofaye (ou Tofailles) provient directement du patois local, notamment du lorrain roman des Hautes-Vosges, et signifie littéralement « à l’étouffée » (é l’étoffôe ou touffée). Cette appellation est la clé de la méthode de préparation qui confère au plat toute sa texture et sa saveur inimitable.
Historiquement, la Tofaye est profondément liée à la vie rurale et montagnarde, notamment au « repas marcaire ». Le marcaire était le gardien des troupeaux dans les fermes-auberges vosgiennes (les marcairies). Après une longue journée passée en altitude, ces éleveurs avaient besoin d’un repas roboratif, calorique et facile à préparer en grande quantité : un plat unique, riche et nourrissant. La Tofaye remplissait parfaitement ce rôle.
Anatomie d’un plat authentique
La Tofaye est une préparation basée sur un principe de superposition et de lente infusion des saveurs. Ses ingrédients sont modestes mais savamment choisis pour une richesse gustative optimale.
Les ingrédients fondamentaux
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Les Pommes de Terre : Elles sont la base du plat. Idéalement, on utilise une variété à chair ferme (comme la Charlotte ou la Nicola) pour qu’elles se tiennent bien pendant la longue cuisson, tout en absorbant le jus de cuisson. Elles sont généralement coupées en rondelles épaisses.
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Le Lard Fumé et le Porc : Élément central du goût, le plat intègre de généreuses quantités de lard fumé (souvent en tranches épaisses ou en lardons) pour graisser le plat et le parfumer. Une variante particulièrement riche incorpore également du collet de porc fumé ou de la palette fumée, coupés en morceaux. C’est le salage naturel de ces viandes qui permet souvent de ne pas ajouter de sel au plat.
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Les Aromates : L’oignon émincé est indispensable pour sa douceur après cuisson. Dans certaines variantes régionales (notamment celles qui s’étendent vers l’Ardenne belge ou la Gaume), le blanc de poireau est ajouté, apportant une note subtilement végétale.
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Le Liquide et l’Onctuosité : Traditionnellement, le plat est mouillé avec un peu de vin blanc sec, souvent un vin d’Alsace (comme un Pinot Blanc ou un Edelzwicker), qui apporte une légère acidité. Dans sa version la plus gourmande et moderne, de la crème fraîche épaisse est ajoutée en quantité pour lier les ingrédients et apporter une onctuosité inégalée.
Le secret de la cuisson : l’étouffée lente
La véritable âme de la Tofaye réside dans sa cuisson à l’étouffée, lente et prolongée, de préférence dans une cocotte en fonte ou une terrine en terre cuite.
Le montage est crucial :
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Le fond de la cocotte est tapissé de tranches de lard ou de beurre.
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Les ingrédients sont ensuite montés en couches alternées : pommes de terre, oignons (et poireaux), lardons/viande fumée.
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Le tout est arrosé du mélange vin blanc/crème et assaisonné de poivre et parfois d’un bouquet garni (thym, laurier).
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La cocotte est fermée hermétiquement et placée au four à température modérée (autour de 180°C) pour une durée qui peut atteindre trois heures.
C’est ce long mijotage, scellé par le couvercle, qui permet aux graisses du lard de fondre lentement, aux arômes du vin et des oignons de pénétrer les pommes de terre, transformant les couches en une masse incroyablement moelleuse, fondante et homogène.
Tofaye, Touffaye, Tofailles : des variantes régionales
Bien que souvent attribuée aux Vosges, cette méthode de cuisson se retrouve sous des noms légèrement différents dans les régions voisines :
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Tofailles (Vosges) : Souvent servie en accompagnement d’une palette fumée ou d’une saucisse lorraine. Elle est la version la plus riche en lard et traditionnellement intégrée au Repas Marcaire.
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Touffaye Gaumaise (Belgique) : Variante wallonne et ardennaise, la Touffaye est un plat similaire mais qui met souvent l’accent sur une couleur rousse obtenue par un long rissolage des oignons et est traditionnellement moins riche en crème.
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Les variantes Ardennaises : Dans certaines parties des Ardennes françaises, le plat est parfois désigné comme Tofaye, mettant en avant la richesse du porc fumé local, souvent servi avec une simple salade de pissenlits.
Dans tous les cas, ce plat reste l’archétype de la cuisine réconfortante d’hiver, un plat qui se bonifie même lorsqu’il est réchauffé le lendemain. Il est généralement servi avec une simple salade verte pour apporter de la fraîcheur et du croquant, et accompagné d’un vin rouge léger comme un Pinot Noir d’Alsace ou une bière locale.