La coupe à champagne, avec sa forme évasée et généreuse, évoque immédiatement l’éclat des fêtes d’antan, le faste des cours royales et le raffinement de l’art de vivre à la française. Mais au-delà de son élégance, un mythe tenace entoure son origine : celui que les toutes premières coupes auraient été moulées sur la poitrine de la reine Marie-Antoinette d’Autriche.
Une histoire aussi fascinante que le pétillement du champagne lui-même, qui mérite d’être explorée en profondeur.
Aux origines du mythe : une attribution flatteuse et scandaleuse
L’idée que la coupe à champagne ait été façonnée à l’image du sein d’une femme célèbre est un motif récurrent dans l’histoire des objets de luxe. Ce n’est pas une invention propre à Marie-Antoinette, mais une anecdote qui s’est naturellement rattachée à elle, compte tenu de sa réputation d’élégance et de la période faste de son règne.
Un mythe persistant pour d’autres figures historiques
Avant d’être attribuée à la dernière reine de France, cette légende a couru sur d’autres figures féminines célèbres :
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Hélène de Troie (selon la mythologie grecque).
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Diane de Poitiers, maîtresse d’Henri II au XVIe siècle. Le château d’Anet abriterait même un ensemble de coupes en porcelaine attribuées à ses formes.
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Madame de Pompadour (maîtresse de Louis XV) au XVIIIe siècle, dont le goût pour le luxe et les arts était légendaire.
Ces attributions successives montrent que le mythe n’est pas lié à une personne spécifique, mais à une idée romanesque et sensuelle : lier la beauté féminine au plaisir du champagne.
Pourquoi Marie-Antoinette ?
Marie-Antoinette, avec son goût pour la mode, les fêtes et le raffinement à la cour de Versailles, était une candidate idéale pour devenir l’héroïne de cette légende. Son image, oscillant entre l’admiration et le scandale, a favorisé l’ancrage de ce genre d’histoires. Le mythe du sein moulé sur la coupe correspond parfaitement à la vision que l’on avait de la reine à l’époque : une femme d’une élégance voluptueuse, associée aux plaisirs et au luxe.
La réalité historique : la véritable naissance de la coupe
Malgré la séduction du mythe, la réalité historique de l’invention de la coupe à champagne est bien plus prosaïque et remonte à une période antérieure.
L’essor du verre et du champagne
Le XVIIe siècle voit l’apparition des premières bouteilles de verre solides, capables de résister à la pression du vin pétillant (le champagne tel que nous le connaissons aujourd’hui commence à se développer grâce à des figures comme Dom Pérignon). Avec l’essor du champagne, il devient nécessaire de disposer de verres adaptés.
La coupe, un verre du XVIIe siècle
Les premières coupes évasées apparaissent dès le XVIIe siècle, bien avant la naissance de Marie-Antoinette (1755). Elles étaient initialement conçues pour servir des vins mousseux qui n’avaient pas la même effervescence que le champagne moderne.
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Fonctionnalité : À cette époque, l’intérêt n’était pas de conserver les bulles (qui s’échappaient rapidement de la large ouverture), mais de mettre en valeur la couleur et la brillance du vin.
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Matériau : Le développement des techniques de verrerie, notamment en Angleterre avec le cristal au plomb, permettait de produire des verres plus fins et plus élégants.
Les coupes étaient alors les verres de prédilection pour le champagne au XVIIIe siècle et jusqu’au milieu du XXe siècle, symbolisant le faste et l’opulence.
Le rôle des manufactures royales
Les grandes manufactures royales françaises, comme la Manufacture royale de glaces de miroirs (qui deviendra Saint-Gobain) ou les cristalleries de Baccarat et de Daum, ont joué un rôle majeur dans la production de ces coupes élégantes, qui ornaient les tables des plus grandes cours d’Europe. Elles produisaient des pièces d’une grande finesse, souvent gravées ou ornées.
L’évolution du verre à champagne : de la coupe à la flûte
Si la coupe a dominé pendant des siècles, elle a progressivement cédé la place à la flûte, non sans raison.
Les limites de la coupe
La forme évasée de la coupe, aussi élégante soit-elle, présente des inconvénients majeurs pour la dégustation du champagne moderne :
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Perte des bulles : La large ouverture favorise une déperdition rapide du gaz carbonique, entraînant une perte d’effervescence et de fraîcheur.
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Dispersion des arômes : Les arômes, souvent subtils et complexes dans un grand champagne, se dispersent trop vite au lieu de se concentrer vers le nez.
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Température : La grande surface de contact avec l’air accélère le réchauffement du champagne.
L’avènement de la flûte au XXe siècle
Au XXe siècle, avec l’amélioration des techniques de production du champagne et l’accent mis sur la dégustation, la flûte s’est imposée. Sa forme allongée et étroite permet de :
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Préserver l’effervescence : Les bulles montent plus longtemps et plus régulièrement.
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Concentrer les arômes : Le nez est plus près de la surface du liquide, permettant de mieux percevoir la complexité des parfums.
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Maintenir la température : La moindre surface d’échange thermique garde le champagne frais plus longtemps.
Plus récemment, le verre en forme de tulipe, avec son ventre plus large que son ouverture, est même préféré par certains connaisseurs pour combiner la concentration des arômes avec une meilleure oxygénation.
Marie-Antoinette et la postérité du mythe
Bien que la légende des coupes moulées sur la poitrine de Marie-Antoinette soit historiquement fausse, elle perdure et contribue à l’imaginaire autour de la reine. Elle souligne son statut de figure emblématique de l’opulence et de l’art de vivre d’une époque révolue, une période de faste avant la Révolution française.
Ce mythe, charmant et frivole, est le reflet d’une époque où le champagne et ses attributs étaient symboles de plaisir et de raffinement.
Il nous rappelle que l’histoire culinaire et l’art de la table sont souvent aussi riches de récits et de légendes que de faits avérés.