Le Steak Tartare, mythe ou réalité ?
Découvrez l’histoire controversée du plat, de ses liens avec les cavaliers Mongols à sa codification dans les brasseries françaises. Guide complet pour le réussir (et le débattre).
Peu de plats suscitent autant de passion et de méfiance que le Steak Tartare. Considéré par les uns comme le summum de l’épicurisme, célébrant la qualité brute d’une viande d’exception, il est vu par d’autres comme une relique historique dangereuse.
De ses origines obscures auprès des cavaliers des steppes à sa place immuable sur les cartes des plus grandes brasseries françaises, le Tartare est bien plus qu’une simple viande crue assaisonnée : c’est un monument de l’histoire culinaire, riche en mythes et en techniques.
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I. L’Histoire et la Légende : Un mythe forgé dans les steppes
L’histoire populaire du Steak Tartare est l’une des plus romanesques de la cuisine. Elle lie ce plat à des guerriers nomades, mais la vérité est bien plus récente et française.
Le mythe des cavaliers Mongols
La légende veut que les cavaliers nomades d’Asie centrale, les Tartares ou Tatars (sous Gengis Khan), n’avaient pas le temps de cuire leur viande. Ils plaçaient des morceaux de bœuf ou de cheval sous la selle, permettant à la viande d’être attendrie par la friction et la sueur durant la chevauchée. Une fois le campement établi, cette viande « attendrie » était consommée crue.
Verdict d’Aventure Culinaire : Cette histoire, bien que fascinante, est très probablement un mythe folklorique. Si les Mongols consommaient bien de la viande crue ou séchée, il est peu probable que la viande ait été mangée après avoir été imbibée de sueur de cheval. Cette légende fut popularisée en Europe par le récit d’un explorateur, Jean de Joinville, au XIIIe siècle.
La véritable naissance en Allemagne et en France
Le plat que nous connaissons aujourd’hui n’est pas né sur les champs de bataille, mais dans les ports maritimes européens au XIXe siècle.
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Le Steak à l’Américaine : Le véritable ancêtre est le « Rostbraten » (steak rôti) ou « Filet Américain » servi dans les ports allemands (comme Hambourg). Il s’agissait initialement de viande crue hachée, mélangée à de la chapelure et un œuf, pour la rendre plus digeste pour les marins. Le terme « Américaine » viendrait du fait que les marins américains appréciaient ce plat rapide et nourrissant.
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L’influence Tartare : Lorsque ce plat de bœuf haché cru arrive en France au début du XXe siècle, il est encore souvent servi avec une sauce épicée à base de moutarde, de jaunes d’œufs et de câpres. Par confusion ou par volonté d’ajouter une touche exotique, les restaurateurs français l’ont associé à la sauce Tartare (elle-même héritière d’une sauce aux câpres et cornichons).
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La codification du Tartare : C’est finalement dans le célèbre Guide Culinaire d’Auguste Escoffier (1921) que le plat est formellement codifié sous le nom de Steak Tartare, spécifiant qu’il est servi sans cuisson et avec son accompagnement classique.
us à démêler le vrai du faux et à découvrir comment maîtriser cet art de la simplicité complexe.
II. L’Art de la Simplicité : Technique et préparation
La réussite du Tartare repose sur deux piliers : la qualité de l’ingrédient et la justesse de l’assaisonnement.
1. La sélection de la viande : Fraîcheur et coupe
La règle d’or est absolue : la viande doit être d’une fraîcheur irréprochable et d’une qualité supérieure.
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Le morceau idéal : Le filet de bœuf est traditionnellement préféré pour sa tendreté absolue et son absence de nerfs. Le rumsteak (cœur de rumsteak) ou la poire peuvent être utilisés pour un goût plus prononcé, à condition d’être parfaitement parés.
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L’ennemi : Le hachoir. : Le Tartare doit être haché au couteau. Le hachoir à viande écrase la fibre, la réchauffe, et la rend pâteuse. Hacher au couteau préserve la texture, permet au Tartare de tenir et offre une meilleure sensation en bouche.
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La préparation au dernier moment : Le Tartare doit être préparé et assaisonné juste avant d’être servi pour garantir sa fraîcheur et éviter l’oxydation de la viande.
2. Le cérémonial de l’assaisonnement
L’art de l’assaisonnement est souvent un rituel dans les brasseries. Il doit toujours inclure des éléments gras, acides, salés et piquants pour créer l’équilibre parfait.
| Composante | Rôle | Ingrédients clés |
| Le Liant (Gras) | Assouplit le mélange et lie les saveurs. | Jaune d’œuf frais (un par portion), Huile d’olive ou huile de tournesol. |
| L’Acidité | Coupe le gras et fait ressortir les saveurs de la viande. | Vinaigre de vin, Tabasco, Worcestershire sauce (ou sauce anglaise). |
| Le Piquant/Salé | Amène la complexité aromatique et le goût. | Cornichons hachés, Câpres, Oignon ou échalote finement ciselée, Sel de mer, Poivre noir fraîchement moulu. |
| L’Herbe | La touche de fraîcheur. | Persil plat haché ou ciboulette. |
Le conseil du Chef : Servir le Tartare à la limite du froid. Il ne doit pas être glacé, mais suffisamment frais pour que sa texture reste ferme.
III. Le débat social : La sécurité alimentaire du cru
Manger de la viande crue est un acte de confiance. L’engouement croissant pour le Tartare dans la culture gastronomique moderne soulève des questions de sécurité alimentaire.
Les précautions indispensables
Pour minimiser le risque de bactéries (comme Salmonella ou E. coli), il est crucial de respecter des règles strictes :
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Congélation Préventive : Certains chefs recommandent de congeler la pièce de viande entière à cœur (plusieurs jours) avant de la hacher. Cela réduit les risques, même si cela peut affecter très légèrement la texture.
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Hygiène : Utiliser des couteaux et planches à découper exclusivement dédiés au hachage de la viande crue.
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Hachage à la demande : N’acheter la viande qu’en un seul morceau et la hacher soi-même au dernier moment.
Les alternatives pour l’épicurien prudent
Si l’envie est là, mais le risque trop grand, la cuisine propose d’élégantes alternatives :
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Le Carpaccio : Fines tranches de bœuf cru, souvent juste marinées à l’huile d’olive, citron et parmesan. La texture est différente mais la saveur de la viande est préservée.
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Le Tartare de poisson : Saumon, thon ou Saint-Jacques, dont l’assaisonnement est similaire mais les risques bactériologiques souvent moins élevés (surtout si le poisson a été congelé).
Un voyage historique et gustatif
Le Steak Tartare est un plat qui ne laisse personne indifférent. Il est la rencontre entre une légende forgée sur les steppes de l’Histoire et l’exigence de la haute cuisine française.
Symbole de la simplicité et de l’authenticité, il exige du cuisinier une maîtrise parfaite de l’hygiène et une connaissance précise des équilibres d’assaisonnement.
Pour le véritable épicurien, choisir un Tartare est un acte de confiance et une célébration de la qualité.
Un plat qui, malgré les siècles et les controverses, reste l’un des joyaux les plus provocants de l’aventure culinaire.