Découvrez l’histoire du Matefaim (ou Matafan), cette épaisse spécialité lyonnaise qui « mate la faim ».
Apprenez comment cette recette paysanne, oscillant entre crêpe moelleuse et flan rustique, est devenue un symbole de la cuisine de ferme en Rhône-Alpes.
Le matefaim, ou parfois matafan, est l’un des trésors les mieux gardés de la gastronomie lyonnaise et de la région Rhône-Alpes au sens large (Dauphiné, Savoie, Forez). Plus qu’une simple crêpe, c’est un plat rustique et généreux dont le nom seul est une promesse : celle de « mater la faim ».
À mi-chemin entre une crêpe épaisse, un flan de ménage et une galette roborative, le matefaim incarne la simplicité et la richesse de la cuisine paysanne. Qu’il soit sucré aux pommes ou salé aux lardons, il a toujours été le garant d’un repas nourrissant pour les travailleurs de la ferme. Plongeons dans l’histoire et les secrets de ce pilier de la cuisine des « Gones ».
I. L’histoire et l’étymologie : Un « tue-la-faim » paysan
Le nom Matefaim (ou Matafan) trouve son origine directe dans l’expression populaire.
L’art de « mater la faim »
Le terme vient de l’expression dialectale « mata fame » ou « mate-faim », signifiant littéralement « tuer la faim » ou « maîtriser la faim ».
Née dans le contexte rural des fermes, cette recette devait être :
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Économique : Utilisant des ingrédients simples et disponibles (farine, œufs, lait, pommes de la cave ou légumes de saison).
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Rassasiante : D’où sa consistance épaisse, qui lui permettait de caler les estomacs des paysans après une dure journée de labeur.
Une ancienne spécialité régionale
Si le Matefaim est fermement associé au Lyonnais, son usage et ses variantes s’étendent bien au-delà, dans l’ancienne région Rhône-Alpes :
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Lyon : Souvent cuit à la poêle en une seule galette épaisse.
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Dauphiné et Savoie : La recette pouvait être plus proche d’un beignet, en jetant des cuillerées de pâte dans l’huile chaude, ou un flan cuit au four.
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Forez : Région d’origine très probable de la recette paysanne.
L’historien culinaire Bruyérin Champier, dès 1560, évoquait déjà une spécialité appartenant au Lyonnais, marquant son ancienneté.
II. Anatomie du Matefaim : Ni crêpe, ni flan, mais un peu des deux
Le Matefaim se distingue de ses cousins par sa texture unique et sa méthode de cuisson.
Plus épais qu’une crêpe, plus rustique qu’un flan
Contrairement à la crêpe, mince et souple, le Matefaim est épais, dense et moelleux. Curnonsky, le célèbre « Prince des Gastronomes », soulignait d’ailleurs cette distinction en 1925 :
« Je dis le matefaim et non la crêpe, quoi que certains les confondent. Le matefaim est épais, solide comme son nom l’indique. On le mange salé au début du repas. »
Sa consistance interne peut parfois rappeler celle d’un flan de ménage, légèrement humide et très consistante, surtout lorsqu’il contient des fruits (pommes) ou des légumes (pommes de terre, épinards).
Les ingrédients de base
La pâte est simple, proche de celle des crêpes, mais plus dense :
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Farine
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Œufs
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Lait
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Une pincée de sel
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Souvent, une touche d’alcool (rhum, cognac ou génépi en Savoie) ou d’aromate (fleur d’oranger) pour le Matefaim sucré.
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De la matière grasse (huile ou beurre) pour la cuisson.
III. Les deux visages du matefaim : Sucré et salé
L’une des grandes richesses du Matefaim est sa capacité à être servi en plat principal ou en dessert.
Le matefaim sucré : Le classique aux pommes
La version la plus populaire aujourd’hui, et celle qui sert souvent de goûter, est le Matefaim aux pommes.
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Préparation : Des pommes râpées ou coupées en dés sont incorporées directement dans la pâte à crêpe épaisse.
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Cuisson : La totalité de la pâte est versée dans une grande poêle et cuite lentement à feu doux (environ 30 minutes au total).
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Le défi du retournement : La technique pour retourner cette galette épaisse en milieu de cuisson sans la briser est l’un des grands secrets des cuisinières lyonnaises, souvent résolu par l’utilisation d’une assiette ou d’une autre poêle.
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Dégustation : Servi tiède ou froid, saupoudré de sucre glace ou accompagné de crème fraîche épaisse.
Le matefaim salé : L’entrée rustique
Historiquement, le Matefaim était souvent consommé en version salée en début de repas, notamment à la Chandeleur (alors que la Bugne sucrée était réservée à Mardi Gras).
Les garnitures traditionnelles incluent :
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Pommes de terre : Râpées ou en purée, rendant le plat encore plus lourd et nourrissant.
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Lardons et oignons : Pour un plat de résistance complet.
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Légumes de saison : Épinards, cardons, ou même des ingrédients liés à l’abattage du cochon (certains « matafans » régionaux étaient faits avec du sang frais).
IV. Réussir son matefaim à la maison : Astuces et conseils
Pour faire honneur à cette tradition lyonnaise, quelques règles s’imposent :
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Le temps de repos de la pâte : Crucial pour une texture optimale. Laissez la pâte reposer au moins une heure (idéalement 2 à 3 heures). Cela permet à la farine d’absorber le liquide et évite que votre Matefaim ne soit trop compact.
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La cuisson est lente : Ne cédez pas à la tentation d’augmenter le feu. Le Matefaim doit cuire doucement pour que le centre soit bien pris sans que l’extérieur ne brûle. On cherche un moelleux, pas un croustillant.
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L’astuce anti-drame : Pour le retournement, faites glisser délicatement le Matefaim sur une assiette plate, puis, poêle vide, posez l’assiette sur la poêle et faites glisser le Matefaim sur l’autre face.
Le Matefaim du XXIe siècle : La version au four
Pour éviter le stress du retournement à la poêle, de nombreux Lyonnais optent aujourd’hui pour une cuisson au four (à 180 °C environ), dans un plat à tarte ou à gratin. La consistance se rapproche alors davantage d’un clafoutis ou d’un flan paysan, tout en conservant l’esprit du « tue-la-faim ».
L’âme généreuse de la cuisine lyonnaise
Le Matefaim lyonnais est plus qu’une simple recette régionale ; c’est un lien direct avec l’histoire culinaire de la ferme, une démonstration de l’art de faire beaucoup avec peu.
Symbole de convivialité et de générosité, il continue de mater la faim et de réchauffer les cœurs, que ce soit en dessert avec les pommes du verger ou en plat unique, solide et rustique.
Goûter au Matefaim, c’est savourer l’âme véritable de la cuisine des bouchons lyonnais et des campagnes environnantes.