Le Kig ha Farz (littéralement, « viande et far » en breton) n’est pas une simple potée ; c’est une véritable institution culinaire, une plongée réconfortante dans l’âme rustique et généreuse du Finistère, et plus particulièrement du Pays de Léon (Nord-Finistère).
Ce plat complet et roboratif, souvent surnommé le « pot-au-feu breton », se distingue par sa méthode de cuisson unique et l’utilisation emblématique du sarrasin.
Découvrez l’histoire, la composition et les secrets de ce trésor gastronomique breton, essentiel à toute exploration culinaire de l’Ouest.
I. Aux sources du Kig ha farz : une histoire de frugalité et de terroir
L’ancrage géographique : le Pays de Léon
L’origine du Kig ha Farz est solidement ancrée dans le Pays de Léon, cette partie septentrionale du Finistère. Région historiquement agricole, elle a toujours privilégié les plats complets, capables de fournir l’énergie nécessaire aux paysans travaillant aux champs durant les longues journées. Le Kig ha Farz est la parfaite expression de cette cuisine de subsistance, frugale dans ses ingrédients de base (viandes salées et légumes de saison) mais extrêmement riche et généreuse dans son résultat.
L’influence du blé noir (Sarrasin)
L’histoire du plat est indissociable de celle du blé noir (sarrasin), introduit en Bretagne au XVe siècle. Le sarrasin s’est rapidement imposé sur les terres pauvres et acides de la région, devenant la base de l’alimentation populaire (crêpes, galettes, et bien sûr, le Farz). Son goût rustique et sa richesse nutritive en ont fait l’ingrédient phare du plat.
Le Kig ha Farz symbolise ainsi l’équilibre parfait entre les ressources de la terre (légumes, farines) et l’élevage (viandes salées pour la conservation).
II. Anatomie d’un plat unique : viande, far et lipig
Contrairement à un pot-au-feu classique où tous les éléments cuisent librement dans le bouillon, le Kig ha Farz se singularise par la cuisson de sa pâte, le Farz.
1. Le Kig (la viande et le bouillon)
Le « Kig » (viande) est la base du bouillon. Il est composé traditionnellement de :
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Viandes salées : Jarret de porc demi-sel, poitrine de porc salée (lard).
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Viandes de bœuf : Gîte ou paleron, pour enrichir le goût.
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Légumes racine : Carottes, navets, poireaux, céleri et chou vert, cuits longuement pour parfumer le bouillon.
Le tout mijote pendant de longues heures (souvent 3 à 4 heures), créant un bouillon puissant et savoureux qui sert à la fois à cuire le reste des ingrédients et à être dégusté à la fin.
2. Le Farz : le secret des sacs de toile
Le Farz est l’élément qui donne son identité au plat. Il se présente sous deux formes, traditionnellement cuites simultanément :
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Le Farz du (far noir) : Composé principalement de farine de blé noir (sarrasin), il est dense, rustique et a une couleur foncée.
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Le Farz gwinizh (far blanc) : Composé de farine de froment (blé) et souvent enrichi d’œufs, de crème, de beurre et parfois de sucre ou de raisins secs. Il est plus léger et plus doux.
La méthode de cuisson est la clé : chaque pâte est versée dans un sac de toile serrée (sac à farz) distinct, qui est ensuite ficelé et immergé dans le bouillon de cuisson du Kig. Le Farz cuit ainsi à l’étouffée dans la vapeur et le gras du bouillon, absorbant les saveurs sans se désagréger.
3. Le Lipig : la touche finale incontournable
Le Lipig est la sauce qui sublime le plat. Son nom vient du breton Lipig qui évoque la gourmandise. Il s’agit d’une émulsion simple mais essentielle, préparée à partir de beurre demi-sel fondu dans lequel on fait roussir longuement des échalotes (ou des oignons de Roscoff). Cette sauce est généreusement nappée sur le Farz émietté au moment de servir.
III. Dégustation et rituels : du bruzunoc à la poêle
Le service du Kig ha Farz est un moment convivial et ritualisé :
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Le service des viandes et légumes : Les viandes et les légumes sont sortis du bouillon et présentés sur un grand plat.
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L’émiettage du Farz : Une fois sorti de son sac de toile, le Farz noir est souvent émietté (il prend alors le nom de bruzunoc, signifiant « émietté » ou « sableux ») et servi comme une semoule au milieu du plat. Le Farz blanc, plus compact, peut être coupé en tranches.
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Le nappage : Le Farz, en particulier le Farz du, est arrosé généreusement du Lipig.
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Le bouillon : Le bouillon restant est servi à part dans des bols ou soupières, où l’on trempe traditionnellement du pain rassis.
Astuce anti-gaspillage : Le Farz non consommé est un délice le lendemain, coupé en tranches et revenu à la poêle avec du beurre salé (farz fritet) !
IV. Le Kig ha farz aujourd’hui : patrimoine et modernité
Longtemps cantonné aux repas de fêtes familiales, aux pardons religieux et aux mariages dans l’Ouest breton, le Kig ha Farz a regagné en popularité et est aujourd’hui fièrement revendiqué par la gastronomie régionale :
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Patrimoine vivant : De nombreux restaurateurs du Finistère en ont fait leur spécialité, souvent servi uniquement le week-end, tant sa préparation est longue et exigeante.
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Innovation : Bien que la recette traditionnelle soit sacrée, des chefs proposent des variations allégées ou adaptées, comme le « Veg ha Farz » (version végétarienne remplaçant la viande par des légumineuses).
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Produit d’épicerie : Pour les Bretons exilés ou les touristes gourmands, le Kig ha Farz est désormais disponible en bocaux et conserves artisanales, permettant de déguster ce plat emblématique partout en France.
Le Kig ha Farz est plus qu’un plat : c’est un lien direct avec l’histoire, la terre et l’identité chaleureuse du Finistère.
C’est l’essence même de la cuisine bretonne : simple en apparence, riche et profonde en saveurs.